LA PENSÉE MERSIVE
Contribution La Griffe Aquitaine
Rubrique Métaphysique
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲△△
Facilité de lecture ▲▲▲▲△
Rapport avec le rite ▲△△△△
Le philosophe Bruce Bégout a d’abord enseigné à l’ENSAP Bordeaux. C’est là qu’il a dû nourrir sa passion de phénoménologue pour le « de quoi est fait » l’espace dans lequel on vit, et qui l’a porté depuis à labourer patiemment ce champ philosophique.
Comme phénoménologue il tient à s’écarter de la dualité sujet/objet - qu’il appelle la pensée « jective » (comme ob-jectif). Cette pensée – qui analyse et re-présente - est pour lui celle de la séparation entre l’homme et le monde. Ce qui intéresse Bégout au contraire, c’est l’homme immergé de façon inextricable dans le monde, d’où sa tentation pour une pensée « mersive » (comme im-mersion).
Je le soupçonne d’avoir conçu cette notion à la suite d’une expérience d’immersion en réalité virtuelle : « de quoi immersion est-elle le nom ? » De là, il explore cette immersion – pardon, cette mersion - comme le régime de notre expérience quotidienne d’être au monde. Soit.
Du coup le mot d’« espace » (qui suggère l’entre-deux) doit être banni comme trop « abstrait ». Je n’en ai trouvé qu’une occurrence – la citation du peintre Yves Klein – sur un « espace neutre et vide ». Les mots représentatifs qu’il choisit lui de disséquer - sans fin - sont ceux où l’espace colle à la peau : l’ambiance, le climat, le milieu, le paysage, l’aura, l’atmosphère, l’émanation, le nimbe, la résonnance, le rayonnement…
Dans sa quête de raison sans causes et de phénomène sans symboles, ce sont toutes les catégories du flou et de ses loups qui sont convoqués pour soi-disant « comprendre les modes d’être ». Cela donne de belles pages quand il s’agit du paysage – avec François Jullien et les paysages chinois ; ou d’esthétique, avec la résurrection de Wilhelm Worringer et de son « einfühlung » que je pensais définitivement enterrés.
Mais que cherche-t-on là ?
Comme professe mon ami François - qui a toujours raison : « Il ne faut pas oublier que, comme dit Deleuze, le philosophe contemporain est un créateur de concept ».
C’est donc ça. C’est à une belle partie de chasse au concept à laquelle Bégout nous convie. En battant sans relâche les fourrés touffus du milieu, de l’atmosphère et des climats, il a vu soudain - comme dans la garrigue le jeune Pagnol voit s’envoler la bartavelle, cette perdrix mythique des villages de Provence – il a vu s’élever le gibier rare du Concept. Ce spécimen porte le nom délicieusement ambigu d’Ambiance.
Nous on reste un peu bredouille.