LE LIVRE DE L’INTRANQUILLITÉ
Contribution La Griffe Aquitaine
Rubrique Hors-Normes
Intérêt général de l’ouvrage ▲▲▲▲▲
Facilité de lecture ▲▲▲▲△
Rapport avec le rite ▲▲△△△
C’est un livre que j’ai lu tard ; il y a quelques années seulement. C’est un livre qui n’est pas vraiment un livre : une sorte de journal ; un « cahier du jour » comme on disait à l’école primaire. Un carnet de notes, lumineuses et pessimistes.
Quand j’avais vingt ans je lisais Cioran – c’était à la mode – qui distillait lui aussi des aphorismes époustouflants et définitifs. Ça m’avait à l’époque presque rendu malade.
On retrouve chez Pessoa cette même grandeur du désespoir, dans des phrases ciselées, mais sans le dandysme ni la provocation, plutôt dans un proustien scanner brut du pays des sentiments :
J’écris plein de tristesse dans une chambre paisible, seul comme je l’ai toujours été, seul comme je le serai toujours.
L’intériorité – mot que pour sa part il refuse – est pour lui ce gouffre d’émotions dont il se complait à ne pas sortir, et dans lequel fait fonds une misanthropie imperturbable :
Vu de près les gens sont d’une changeante monotonie. Ou encore : je m’irrite du bonheur de tous ces gens qui ne savent pas qu’ils sont malheureux.
A côté, le Livre de Job parait presque guilleret : j’ai mal à la tête et à l’univers entier.
L’universalité de sa désespérance n’a d’égal que l’épiphanie généralisée de cet ennui intranquille qui donne son titre à l’ouvrage.
C’est pour moi que se fige ce soleil couchant, aux ailes lourdes et embrumées…
En ne disant rien – si je ne dis rien c’est que je n’ai rien à dire - ce livre dit tout, à la fois de notre handicapante sensibilité et de notre conscience aigüe de la fragilité de tout, c’est-à-dire de notre incomparable et délicat malaise humain congénital.
Alors : que ceux que la mélancolie panique, ou qu’une interminable logorrhée pourrait d’avance rebuter, passent tout de suite leur chemin. Les autres – les amoureux de la littérature - savoureront, par petits extraits, comme des bonbons horriblement acidulés, ses constats chirurgicaux :
L’inventeur du miroir a empoisonné l’âme humaine. Ou ses vérités oniriques : Je ne rêve pas plus que je ne vis : je rêve la vie réelle.
D’autres encore – plus écossais notamment - relèveront, dans le long cours de cette interminable prosopopée de lui-même, des accents d’une mystique qui nous est peut-être étrangement familière : Renoncer c’est nous libérer ; ne rien vouloir c’est pouvoir.