Trompeuses apparences 

Marseille, Gare Saint-Charles ; j’attends mon train qui a du retard.
Comme souvent, je laisse mon regard flotter sur cette foule bigarrée, qui court, s’agite, revient sur ses pas, en se heurtant avec les valises. D’autres sont en contemplation devant les panneaux, qui indiquent aux voyageurs, horaires, destination, et malheureusement souvent… incident technique : doux euphémisme qui couvre diverses réalités.

Un peu plus loin, vers la porte qui mène à l’esplanade trône un objet insolite : un piano droit, à la disposition d’un public qui passe en l’ignorant. Sur l’esplanade, la vue sur la ville et la bonne Mère est à couper le souffle.

Marseille, la cosmopolite, là où les diverses communautés vivent dans la bonne intelligence bruyante, propre à cette ville. Je me dis qu’Alger que je n’ai pas connu, devait ressembler à cela : je pense à Camus. Marseille, désormais capitale de la drogue, des extrémistes qui, là même, il y a quelques jours ont tué à coups de marteau. Plus bas vers l’escalier deux jeunes filles ont été égorgées il y a deux ou trois ans. Soudain, déboulent deux jeunes, style loubard, bras, tatoués, casquette en arrière, dreadlocks pour l’un d’entre eux, visiblement d’origine africaine. Ils arrivent en planche à roulettes ; prudente, la foule s’écarte. Ils s’avancent… menaçants… vers le piano !
Le premier, s’assoit et joue « la lettre à Élise », puis l’ouverture de la symphonie du destin. La foule applaudit. Le jeune franco- africain le remplace et joue du Mozart. Les gens font cercle autour d’eux eux. Je suis sidéré, ému et heureux de ce moment de grâce. Ils repartent sous les bravos sur leur skate.
Je me hâte vers mon train.

Rien n’est perdu.

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